Dans un arrêt du 4 octobre 2024 (C-579/23), la Cour de Justice de l’Union Européenne s’est prononcée sur l’enregistrement en tant qu’indication géographique protégée de plusieurs appellations visant de la charcuterie corse.
Contexte : un conflit entre AOP et IGP portant sur de la charcuterie d’origine Corse
En décembre 2015, le Consortium des Charcutiers Corses a déposé auprès des autorités françaises plusieurs demandes d’enregistrement d’indications géographiques protégées, dont notamment « Jambon sec de l’Île de Beauté », « Coppa de l’Île de Beauté » et « Lonzo de l’Île de Beauté ».
Un syndicat s’est toutefois opposé à l’enregistrement de ces IGP, sur la base de trois appellations d’origine protégées dont il était détenteur : « Jambon sec de Corse », « Coppa de Corse » et « Lonzo de Corse ».
Pour rappel, ces deux droits renvoient à deux protections différentes :
- Les indications géographiques protégées visent à garantir qu’un produit a été conçu selon un savoir-faire local spécifique,
- Les appellations d’origine protégées visent à garantir qu’un produit est issu d’une zone géographique donnée.
Les demandes d’IGP ont été transmises à la Commission européenne, les autorités nationales françaises (ainsi que le Conseil d’Etat) se montrant favorables à leur enregistrement.
La Commission européenne a toutefois rejeté les trois demandes d’enregistrement, estimant qu’elles ne respectaient pas les conditions d’éligibilité à l’enregistrement.
Solution : la coexistence entre des AOP et IGP similaires jugée impossible
Le nécessaire examen, lors de l’enregistrement d’une IGP, de l’absence d’évocation d’une dénomination protégée préexistante
La Cour de Justice déduit tout d’abord des textes européens (plus particulièrement du règlement n°1151/2012) qu’une dénomination ne peut pas être enregistrée en tant qu’IGP s’il devait être considéré que cette dénomination est évocatrice d’une AOP déjà enregistrée.
En effet, ces deux droits (AOP et IGP) sont protégés contre toute usurpation, imitation ou évocation de leur dénomination : autoriser l’enregistrement d’une IGP évoquant un droit antérieur conduirait donc à priver d’effet utile la protection octroyée à cette dénomination antérieure.
La Cour de justice considère donc que, avant de procéder à l’enregistrement d’une IGP/AOP, la Commission européenne est tenu de de vérifier que la dénomination dont l’enregistrement est demandé ne porte pas atteinte à la protection dont bénéfice une autre dénomination déjà enregistrée dans l’Union Européenne.
Un risque d’évocation confirmé par la Cour de justice de l’Union Européenne
La Cour de justice souligne que le risque d’évocation doit être reconnu si l’utilisation de l’IGP (Indication Géographique Protégée) crée, dans l’esprit d’un consommateur européen moyen, normalement informé et raisonnablement attentif, un lien suffisamment clair et direct avec l’AOP (Appellation d’Origine Protégée) existante.
Pour établir ce lien, divers facteurs peuvent être pris en compte : la similarité phonétique, visuelle ou intellectuelle des appellations, la ressemblance entre les produits concernés, ainsi que tous les éléments pertinents liés à l’usage de la dénomination en question.
Pour contester cette évocation, les titulaires de l’IGP ont notamment souligné les différences de prix entre les produits visés par l’AOP et ceux de l’IGP : alors que les produits « de Corse » provenaient de cochons semi-sauvages, donc très onéreux, les produits « de l’Île de Beauté » étaient issus de cochons d’élevage et, par conséquent, étaient plus accessibles.
Cependant, la Cour de justice a jugé que cette différence de prix ne suffisait pas à écarter le risque d’évocation, étant donné la quasi-identité des signes en question, l’Île de Beauté étant un autre nom pour la Corse.
En résumé, avant de solliciter l’enregistrement d’une IGP ou d’une AOP, il est nécessaire de s’assurer que cette dénomination ne risque pas d’évoquer une autre dénomination préexistante !
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