Dans un arrêt du 23 octobre 2024, la première chambre civile de la Cour de cassation s’est prononcée sur l’application ou non de la règle de l’épuisement des droits de propriété intellectuelle aux jeux vidéo distribués uniquement sous forme dématérialisée.
Contexte : le combat d’une association de consommateurs contre les conditions d’utilisation de la plateforme Steam
Une société américaine propose, via la plateforme Steam, un service de distribution de contenus numériques, dont des jeux vidéo téléchargeables sur les ordinateurs des utilisateurs. Avant tout téléchargement, ces derniers doivent accepter un « Accord de souscription Steam » prévoyant notamment l’interdiction de la revente des contenus et le transfert de comptes Steam.
Une association de consommateurs (UFC – Que choisir) a formé une action en justice contre la société américaine (et sa filiale luxembourgeoise), considérant que cette clause devait être considérée comme abusive et lui reprochait de caractériser une restriction à l’épuisement des droits de propriété intellectuelle sur le contenu.
Le Tribunal judiciaire de Paris, en 2019, avait considéré qu’un certain nombre de clauses de ce contrat devaient être considérées comme abusives et/ou illicites, et donc être réputées non-écrites. En appel, la Cour d’appel de Paris avait considéré, en 2022, que les jeux vidéo n’étant pas de simples logiciels, le régime à appliquer n’était pas celui spécifique aux logiciels mais le régime général du droit d’auteur. Elle avait en conséquence rejeté la demande de question préjudicielle à la CJUE de l’association de consommateurs et tranché directement la question.
Cette dernière a donc formé un pourvoi en cassation.
Solution : pas d’épuisement du droit de distribution sur un jeu vidéo sans support physique
L’inapplicabilité du régime spécifique des logiciels aux jeux vidéo
Pour mémoire, dès lors que la première vente d’un ou des exemplaires matériels d’une œuvre a été autorisée par l’auteur ou ses ayants droit sur le territoire d’un Etat membre de la Communauté européenne ou d’un autre Etat partie à l’accord sur l’EEE, la revente des exemplaires ne peut plus être interdite sur ces territoires.
Toutefois, l’épuisement des droits diffère selon la nature de l’objet en question :
- Pour une œuvre logicielle, il existe un épuisement dès lors que le titulaire de droits a autorisé, même gratuitement, le téléchargement d’une copie dématérialisée du logiciel : il ne peut alors plus empêcher la circulation de cette copie.
- Pour toute autre œuvre, la jurisprudence de l’Union Européenne a déjà considéré (à propos des livres numériques) que l’épuisement ne s’applique pas aux œuvres mises sur le marché de manière dématérialisée : une copie dématérialisée ne peut alors pas être revendue sans l’autorisation du titulaire.
La Cour de cassation a rejeté le pourvoi de l’association de consommateurs.
En effet, les jeux vidéo ne sont, selon elle, pas uniquement des logiciels mais constituent un « matériel complexe » comprenant non seulement un programme d’ordinateur mais également des éléments graphiques et sonores qui ont « une valeur créatrice propre qui ne saurait être réduite au simple encodage ». Ainsi le régime spécial issu de la directive 2009/24 applicable aux seuls logiciels est ici sans effet.
L’application du régime général du droit d’auteur aux jeux vidéo
Selon la Cour de cassation, le jeu vidéo n’étant pas uniquement un logiciel à proprement parler et le régime issu de la directive 2009/24/CE étant une loi spéciale, c’est le régime général issu de la directive 2001/29 qui s’applique, d’autant que « à la différence d’un programme d’ordinateur destiné à être utilisé jusqu’à son obsolescence, le jeu vidéo se retrouve rapidement sur le marché une fois la partie terminée et peut, contrairement au logiciel, être encore utilisé par de nouveaux joueurs plusieurs années après sa création ».
La règle de l’épuisement ne s’appliquant pas aux œuvre mises sur le marché de manière dématérialisée, elle ne concerne donc pas les jeux vidéo dématérialisés. Ainsi, en l’absence de doute raisonnable quant à l’interprétation du droit de l’Union européenne, il n’y avait pas lieu de saisir la CJUE de la question préjudicielle de l’association de consommateur.
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