Vous êtes un acteur du secteur immobilier ou un particulier, vous avez récemment acquis un bien et vous demandez si vous allez opter pour une rénovation ou pour une destruction totale ou partielle en vue d’une reconstruction à neuf ? Dans le cadre de cette réflexion, une question à se poser est celle de savoir si l’architecte de ce bâtiment peut s’opposer à ces opérations.
Un bien immobilier peut-il bénéficier de la protection conférée par le droit d’auteur ?
Lorsque l’on évoque le droit d’auteur on pense généralement à des peintures, sculptures, photographies, romans ou encore à des compositions musicales. En réalité, le droit d’auteur a un spectre beaucoup plus large, le Code de la propriété intellectuelle donnant à cet égard quelques exemples qui en témoignent (article L. 112-2) dont notamment les conférences, allocutions, cartes géographiques ou encore les logiciels.
Dans cette liste, sont par ailleurs précisément évoquées les œuvres d’architecture mais encore les plans ou croquis qui y sont relatifs.
Donc oui, un bien immobilier peut par hypothèse bénéficier de la protection conférée par le droit d’auteur, à une condition cependant : être original.
Protection conférée à condition d’originalité
Toute création, quelle que soit sa nature, doit répondre à la condition d’originalité pour bénéficier d’une protection par le droit d’auteur. Elle est habituellement reconnue quand il est démontré par l’auteur que sa création porte « l’empreinte de sa personnalité ». Il s’agira de sa « patte » rédactionnelle pour un ouvrage ou de son style dans le cadre d’œuvres plus graphiques.
Qu’est-ce que cela recouvre concrètement ? Il faut que l’auteur soit en capacité d’expliquer quels choix créatifs il a fait, quels étaient ses partis-pris esthétiques, sans que ceux-ci :
- ne résultent quasi-exclusivement de contraintes du type PLU, topographie du terrain, contraintes dictées par les clients, etc. (exemple en ce sens pour un immeuble : Cour d’appel de Paris, 6 septembre 2023, n°21/03/848).
- n’apparaissent comme banals au vu du domaine concerné et/ou tombés dans le domaine public (exemple en ce sens pour des verrières : Cour d’appel de Paris, 9 octobre 2024, n°22/20264). Il a déjà pu être considéré par exemple qu’une maison d’habitation était tout à fait originale au vu des développements de l’architecte, d’autant qu’elle avait été mise en avant dans une revue d’architecture.
La même condition s’appliquera également aux plans et croquis relatifs au bien, si l’architecte invoque des droits d’auteur sur ces derniers (exemple en ce sens pour des plans d’architecture paysagère : Cour d’appel de Versailles, 16 mai 2013, n°10/09724).
Des formalités sont-elles à réaliser par l’architecte pour invoquer des droits d’auteur ?
Contrairement au droit des marques ou des brevets par exemple, aucune formalité n’est requise pour que l’auteur d’une création bénéficie des droits sur cette dernière, tant qu’il démontre son originalité.
Cela signifie donc qu’il est investi des éventuels droits d’auteur sur ses plans, croquis ou encore sur son bâti, dès le jour de leur création.
L’idéal est donc que les parties puissent dialoguer, beaucoup de contentieux naissant d’une absence de communication.
Quels droits pour l’architecte sur son bien ?
L’architecte dispose sur ses plans, croquis ou sur son bien, s’ils sont originaux, de droits d’auteur qui se subdivisent en deux composantes distinctes :
- des droits économiques/patrimoniaux : ces droits lui permettent de disposer d’un monopole sur l’exploitation de sa création, c’est-à-dire d’être le seul à pouvoir autoriser (le cas échéant moyennant contrepartie financière) ou interdire toute reproduction de cette dernière, quel que soit le support utilisé (ex : copier une maison pour en faire une seconde, utiliser l’image d’un bien original pour vendre des cartes postales ou en faire des produits dérivés).
Ces droits durent, sauf tempéraments, de la création du bien et pendant un délai de 70 ans après le décès de l’architecte.
- des droits moraux : ces droits lui permettent d’exiger que son nom soit associé à toute reproduction de sa création mais également de s’opposer à toute modification, altération ou destruction par exemple de son bien immobilier en invoquant le droit au respect de sa création (article L. 121-1 du Code de la propriété intellectuelle).
Les droits moraux sont imprescriptibles.
Ces droits, et précisément ici le droit moral, semblent donner à l’architecte un pouvoir important sur le devenir de son bien immobilier et ses éventuels propriétaires successifs.
Ceci étant, en matière juridique, tout est souvent question de balance entre les intérêts et droits des parties en présence.
Or, le propriétaire d’un bien immobilier a un droit de propriété sur ce dernier, lui donnant le pouvoir d’en disposer de la manière la plus large, en ce compris le droit de le détruire, de le rénover, de l’agrandir (sous réserve également du respect des règles d’urbanisme et d’éventuelles servitudes).
Vous l’aurez compris, en réalité tout est question de cas concret et de savoir où mettre le curseur dans la balance entre ces droits fondamentaux afin de permettre une cohabitation dans des situations parfois tendues. La nuance est ici de mise.
Comment droit de propriété et droit d’auteur sont conciliés en pratique ?
La conciliation de ces deux droits fondamentaux n’est pas chose aisée mais une jurisprudence abondante est venue éclairer d’un point de vue pratique le sujet en vue de tenter de concilier tant les intérêts des architectes que ceux des propriétaires de biens immobiliers.
Ainsi, l’architecte ne peut imposer l’intangibilité du bien qu’il a conçu et le propriétaire ne peut de son côté procéder qu’à des modifications qui n’excèdent pas ce qui est strictement nécessaire au but poursuivi et qui ne paraissent donc pas disproportionnées.
Quelques exemples dans lesquels la balance a été favorable aux propriétaires de biens :
- Lorsque le grand public a eu suffisamment de temps pour contempler le bien et en profiter,
- Lorsqu’il est justifié d’un intérêt supérieur comme par exemple un besoin de relogement ou encore des considérations relevant de la sécurité publique,
- Lorsque l’immeuble n’est pas classé au titre des monuments historiques,
- Lorsque l’alternative à la démolition proposée n’est pas satisfaisante,
- Lorsque le bâtiment a une fonction utilitaire et non esthétique.
Il est donc essentiel, avant toute destruction ou modification d’un bien dont vous seriez propriétaire, de vous poser la question d’éventuels droits de propriété intellectuelle qui pourraient porter sur ce dernier, au bénéfice de l’architecte qui l’a conçu.
Vous voulez creuser encore le sujet ? Un avocat droit d’auteur du Cabinet est à votre disposition.