L’exploitation des œuvres de l’esprit, notamment du fait des nouveaux modes d’appropriation liés à leur diffusion sur Internet, a été transformée depuis plusieurs décennies.
Forte de ce constat, « Creative Commons », association à but non lucratif d’origine américaine visant à favoriser le partage et l’utilisation de la créativité et des connaissances, a développé des « outils juridiques gratuits » censés accompagner les nouveaux usages de création à l’heure du numérique. Dans ce cadre, elle met à disposition des titulaires de droits six licences présentant des autorisations à l’attention des tiers désireux d’utiliser leurs œuvres. Selon le périmètre d’exploitation qu’il souhaite accorder, le titulaire de droits sur l’œuvre va ainsi exercer un panachage entre différentes options permettant aux tiers de :
• la diffuser, de façon commerciale ou non,
• la modifier ou non,
• demander à ce que l’œuvre dérivée soit diffusée selon la même licence « Creative Common ».
Par principe, le système proposé par cette association bouleverse notre système juridique actuel en matière de droits d’auteur. Il met en place certaines autorisations, plus ou moins large selon la licence choisie, au profit de tiers alors qu’a contrario le droit français est un droit prohibitif, c’est-à-dire que tout tiers souhaitant exploiter une œuvre doit, au préalable, obtenir l’autorisation de l’auteur (sauf à s’inscrire dans le cadre restreint des exceptions au droit d’auteur). Ce système alternatif séduit car il présente des avantages indéniables : sa gratuité, sa simplicité avec un choix de six licences, la simplification des relations auteurs/utilisateurs-exploitants et surtout la possibilité de mise en place d’un système de recherche d’œuvres diffusées sous Creative Commons par apposition d’un tag « CC » qui permet une interrogation sur métadonnées à partir d’un moteur de recherche par exemple.
Sur son site Internet officiel, l’association se targue d’avoir créé ses outils en association « avec des experts du droit d’auteur dans le monde entier pour s’assurer que [ces] licences sont juridiquement solides, applicables à l’échelle mondiale et répondre aux besoins de [ses] utilisateurs » et que « les licences Creative Commons ont été adaptées au droit français par des juristes et respectent les exigences de la loi française ». Par souci de précaution toutefois, et sûrement conseillée par ces mêmes experts, l’association met en garde les utilisateurs desdites licences au début de chacune d’entre elles avec la mention « l’association n’est pas un cabinet d’avocats et ne fournit pas de services juridiques ou de conseils juridiques (…) Creative Commons décline toute responsabilité pour les dommages résultant de leur utilisation dans la mesure du possible ».
Ainsi, elles sont utilisées par des sociétés importantes comme l’indique l’association sur son site officiel (Wikipedia, Flickr, Google) mais également par des collectivités locales de premier plan, pour des projets artistiques en collaboration entre des artistes et des écoles par exemple.
Le succès dont bénéficient ces licences invite à s’interroger sur leur validité en droit français, et ce d’autant plus qu’à ce jour, elles n’ont encore jamais été mises à l’épreuve des tribunaux français. Ainsi qu’en serait-il, par exemple, si l’auteur d’une œuvre diffusée sous Creative Common autorisant sa modification, était mécontent de l’usage fait de son œuvre et décidait donc d’attaquer en contrefaçon le tiers ayant modifié son œuvre, en contestant la validité de ladite licence ?
Bien que le Code de la propriété intellectuelle ne traite pas explicitement des contrats de licence, il exige à peine de nullité que les contrats de cession de droits visent très précisément les droits cédés ainsi que les modes d’exploitation autorisés mais également l’étendue et la destination de la cession. Par essence, ces éléments sont définis de manière large et générale au sein des « Creative Commons » loin du formalisme important du droit d’auteur français.
Pour l’instant, la seule réponse donnée par l’association Creative Commons dans l’hypothèse d’une utilisation de l’œuvre qui déplairait au titulaire de droits initial est pour le moins ambigüe : « Toute réutilisation et modification de votre œuvre doit respecter vos droits moraux. Si une utilisation vous déplaît, vous pouvez demander à ce que votre nom ne soit plus associé à l’œuvre collective ou dérivée qui reprend votre œuvre. Il se peut cependant que certains exemplaires continuent à circuler tels quels », ce qui bien sûr n’est pas une solution satisfaisante…
Précisons enfin que les droits sont concédés sans aucune garantie, ce qui signifie par exemple que si l’œuvre concernée devait se révéler contrefaisante, le licencié pourrait voir sa responsabilité engagée sans recours vis-à-vis de l’auteur apparent, donneur de licence.
En conclusion, si l’esprit de ces licences reste intéressant dans la mesure où il sensibilise les artistes à définir les conditions d’exploitation de leurs œuvres, leur utilisation doit, au regard de ce qui précède, être faite avec la plus grande précaution et en ayant conscience de leur fragilité juridique.
Les agences de communication et autres agences web devront donc y avoir recours en informant précisément leurs clients sur ce sujet.